La télé tue.
Chloé Delaume se fait une haute idée du rôle de l’écrivain et de son utilité pour la société et la survie même de l’humanité. Il est celui qui teste les effets de ce qu’on propose à nos cerveaux et à nos corps et qui, au péril de sa vie ou de sa santé mentale, s’expose. Elle se compare à une « sentinelle », reprenant ce terme général et lui donnant de surcroît son sens médical actuel : le ganglion sentinelle est celui qui indique si le corps est attaqué. C’est celui que l’on enlève en premier, pour déterminer le mal et sauver les autres, dans le meilleur des cas.
Ce qui est en cause, ici, c’est, comme le titre l’indique, la télévision. Tout part de la phrase de Patrick Le Lay et de la question de ce qu’elle fait de notre cerveaux rendus « disponibles pour Coca Cola ».
Ce livre s’adresse à ceux qui ignorent la réalité de la télévision, déjà critiqué par Jean-Louis Missika dans La fin de la télévision : la télévision à doses massives. C’est cette réalité qui est le lot d’une partie de l’humanité et qu’eux, « lecteurs de Télérama » (et lecteurs tout court, car qui lit ne zappe pas) ignorent.
Chloé Delaume fait elle-même l’expérience. On est ici dans la littérature expérimentale, c’était déjà le cas avec les autres oeuvres de Chloé Delaume, mais c’est ici à double titre, comme lorsqu’elle écrivait Corpus Simsi, ou lorsqu’elle rédige son blog. L’auteur se fait sujet d’expérience et se soumet à des doses massives de télévision, pour voir. L’expérience se déroule en suivant un protocole précis et pendant une durée fixée et respectée coûte que coûte (car cela a un coût mental et humain).
Cela donne des réflexions sur la forme et la force des addictions créées, sur le rapport au monde et à autrui, sur son rapport à soi et au réel, et enfin sur la cruauté qui sommeille en nous (dans notre cerveau reptilien, paraît-il) et que la télévision réveille. Le livre se clôt sur l’évocation de la téléréalité (version apparemment soft, puisque c’est Star académie) et sur ce que fait le spectacle de la compétition et de l’humiliation du vaincu sur nos cerveau disponibles.
Terrifiant. Et magnifique aussi car le style de Chloé Delaume est toujours là (finalement, la télévision ne l’aura pas tué(e)), fascinant, prenant. On est parfois tenté par l’abandon, tant le sujet est aride et le récit peu complaisant, mais le plus souvent rattrapé par le style qui laisse espérer un salut.