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Et si le numérique ringardisait définitivement le marché du travail ?

L’emploi est mort, vive le travail.JPGD'abord il y a l’emploi, grande cause nationale. Ensuite il y a la croissance, grande cause nationale connectée à la première. Et puis il y a le Saint Graal, l’unique espoir restant encore à notre portée d’humbles citoyens français pour sauver l’emploi et la croissance : le numérique !

La solution, voyez-vous, c’est « la transformation numérique » à tous les étages, pour toutes les entreprises, tous les salariés, tous les chômeurs, et pourquoi pas les chiens ou encore les puces – les puces vivantes, pas les numériques qui envahissent jusqu’aux arbres de nos squares, la porte de notre bureau et demain nos boutons de culotte. Notre Président en mal de moments d’amour et de recettes miracles l’a bien compris. Là, en juin dernier, il nous sort de son e-chapeau la « French Tech ». Ici, profitant de la rentrée scolaire, il claironne son nouveau « Plan numérique pour l’école ». Sans oublier ce concept récent, et pas si idiot, de « L’Etat entrepreneur ouvert » de l’ère des données, présenté  par le « Secrétaire d’Etat en charge de la Modernisation de l’Etat et de la Simplification ».

Bref, hors cette transmutation de tout et n’importe quoi en numérique, point de salut pour l’emploi, la croissance, la compétitivité et tout le tralala ! Sauf que le breuvage numérique n’est pas la potion magique . Pour preuve : quand l’institut américain Pew Research demande à 1896 experts : « Les applications d’intelligence artificielle automatisées et interconnectées et les appareils robotiques auront-ils fait disparaître davantage d’emplois qu’ils n’en auront créé d’ici 2025 ? », il y en a une moitié qui répond non, et l’autre oui. Match nul, balle au centre. Chacun son credo. Dieu, semble-t-il, a plus de mal à trancher que notre Président.

En revanche, la quasi totalité des têtes d’œuf de l’enquête s’accordent pour dire que le numérique change tout ou devrait bientôt tout changer : l’enseignement et la formation, la nature de nos labeurs, nos processus de travail, l’organisation et la mise en scène de notre quotidien, le temps de paresse à défaut du temps qu’il fait, la circonférence de notre embonpoint, la fumée qui sort de nos oreilles, etc. Sauf qu’il y a un mega hic : visiblement, cet ouragan de 0 et de 1 transforme tout… sauf les façons de penser des décideurs de France et du monde. Comme si leur penseur favori était Casimir le monstre gentil, et leur livre de chevet « Oui Oui dans le monde de l’économie de grand papa ».

Car cette révolution numérique, dont on ne sait où elle nous mène, ne suppose-t-elle pas avant toute chose une révision de nos vieilles lunes, voire une mise à jour de notre logiciel intellectuel ? Comme le montre si bien Bernard Stiegler in L’emploi est mort, vive le travail ! et dans la disruption  , :  pourquoi s’accrocher à « l’emploi » ? C’est quoi l’emploi ? Les multiples versions de l’esclavage salarié ? Un boulot de machine bien con pour récolter les sous nous permettant de manger le soir du poulet de camp de concentration ? Et si le vrai travail, celui qui nous enrichit dans tous les sens du terme, n’avait rien à voir avec l’emploi ? Et si la promotion de véritables machines pour remplacer nos boulots mécaniques étaient une excellente nouvelle ?

Et puis il y a ce terme, véritable trou noir de l’intelligence sensible : la croissance. Comme si la vie n’était que chiffres ou gonflage artificiel du portefeuille. Et si la croissance intellectuelle et spirituelle supposait bien au contraire la décroissance économique et la mise en bière du PIB ou Produit Intérieur Brut ? Croître pour croître, c’est aussi bête que manger pour manger ou respirer pour respirer.

Pourquoi ne pas prendre un à un tous ces mots désormais inopérants, du progrès à la compétitivité en passant par l’innovation, pour en réinventer le sens ? Pour en multiplier les pistes de redéfinition afin de déjouer la tyrannie de l’économie ? Ou pour tenter d’inventer, grâce au numérique bien sûr, de nouvelles visions de l’économie ? Immense chantier. Mais qui suppose, chers décideurs, de penser, et donc d’arrêter de plonger vos têtes d’autruche dans le miroir aux alouettes de notre sable virtuel.

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