Sur Flickr, nous avons donc affaire à un public d’éditeurs et/ou d’amateurs d’images d’origines géographique, culturelle et socio-professionnelle très variées. Voilà qui est déjà passionnant, mais ce n’est pas tout. Flickr peut être considéré comme le plateau d’un jeu que l’on ne voit jamais intégralement. Ou, si vous préférez, comme un labyrinthe de pages, d’espaces et de fonctionnalités multiples dont on ne détient pas toutes les clés. Élaborer et mettre en oeuvre sur Flickr une stratégie de valorisation de ses images est un jeu technico-social complexe, qui dépasse largement la question de la qualité des photos.
Au coeur du système Flickr, nous trouvons la notion d’« intérêt » (interestingness), une fonctionnalité qui permet de mettre en exergue certaines photos. Voici ma traduction d’une partie de la maigre présentation qu’on peut en lire :
« Il y a beaucoup de choses qui font qu’une photo est ‘intéressante’ (ou pas) sur Flickr. D’où viennent les visiteurs (clickthroughs) ; qui la commente et quand, qui la marque comme favorite ; ses mots-clés et bien d’autres choses qui changent perpétuellement. L’intérêt change avec le temps, au fur et à mesure que des photos et des histoires sont ajoutées sur Flickr. ».
Bref, qu’est-ce au juste qu’une image « intéressante » sur Flickr, qui nous impose au passage sa version par la technique sans pour autant nous la présenter vraiment ? C’est un peu comme l’algorithme mis au point par Google pour afficher ses résultats : on n’en a pas une vue très claire. Ce qui n’empêche pas de nombreux internautes d’y avoir recours, y compris moi-même, acceptant tacitement de prêter le flanc aux manipulations. Voilà un jeu bien étrange dont on ne connaît pas clairement les règles.
Ce qui est clair, au moins, c’est qu’une image n’est pas qualifiée d’« intéressante » directement, sur la base de critères artistiques ou techniques, mais en fonction de l’activité des utilisateurs autour de ladite image. C’est le temps passé sur Flickr, votre sociabilité, votre présentation de vous-même et de vos photos, ainsi que votre capacité à générer un certain trafic autour de vos images qui comptent, et cela change tout.
Des choix techniques vous sont imposés mais ils s’appuient sur l’activité des utilisateurs. Si vous savez influencer des utilisateurs peu experts, vous savez mettre ces utilisateurs et la technique à votre service. Voilà, en deux mots, le principe du jeu en ligne Flickr. Mais bien sûr vous pouvez utiliser Flickr plus naïvement, sans jouer à ce jeu-là !
Une interface qui peut masquer certaines qualités
Et puis vos progrès en photographie, il y a de quoi se dire que les auteurs de Flickr s’en moquent comme de leur première diapo. Remarquons que Flickr n’aide pas vraiment ses utilisateurs à acquérir des bases plus solides, en ouvrant par exemple un espace éducatif « technique photo ». Ce soin est laissé aux quelques utilisateurs plus experts, qui dispensent leurs conseils ça et là. Quant à vous proposer une bibliothèque de liens externes, vous n’y pensez pas : on vous tient, on vous garde !
Mieux, dans une certaine mesure certaines qualités d’une image sont de moindre importance sur Flickr. Au cours de notre navigation par exemple, nous voyons de nombreuses images uniquement sous la forme de vignettes carrées : favoris, présentation d’un « set », calendrier… N’est-ce pas, d’une certaine façon, se moquer du travail du photographe que de le laisser d’abord à voir par un « trou de serrure » ? Il y a certes un côté pratique indéniable côté internaute, mais sûrement aussi quelques leçons à tirer de ce simple constat par l’auteur-éditeur.
Pour être vu, est-il nécessaire de soigner la composition de ses images, très souvent plus horizontales que verticales (ou l’inverse), et saccagée par ce principe de vignette carrée ? Et ne parlons même pas des photographies panoramiques… La composition, ce paramètre souvent fondamental dans la qualité artistique d’une image, apparaît secondaire sur Flickr (ou privilégie étrangement les rares producteurs de photos au format carré…).
Une conséquence de ces vignettes carrées, pour qui souhaite jouer vraiment à Flickr, est de devoir privilégier plutôt des images ayant d’autres qualités (telles les couleurs, sur ces pages très blanches…), faute de pouvoir mettre en avant leur composition.